vendredi 4 février 2011

Oihan : premiers instants alone

04/02/11, Renamrk, Riverland, South Australia



Chapitre I : Galères

Comment expliquer simplement ce qui est compliqué... Le van était enregistré dans le New South Wales, c'est à dire que les plaques d'immatriculations portaient la mention NSW, que je devais payer la vignette annuelle (REGO) et l'assurance au tiers (CTP) dans le NSW, et effectuer un contrôle technique dans le NSW, et nulle part ailleurs que dans le NSW. Ca, c'est ce que je sais maintenant.

Par cette belle matinée de mercredi 19 janvier 2011, je me réveille paisiblement, persuadé que grâce aux progrès de la communication informatique dont jouit l'humanité en ce vingt et unième siècle, je pourrais aisément régler tous ces payements sur internet. Je me rends la fleur au fusil à la première librairie pouvant m'offrir tous les gigabits, adresses IP et pixels dont j'aurais besoin, et commence par payer l'assurance. $835. Bien, c'est quoi l'étape suivante? Garage. Ok, c'est parti. Trois heures plus tard, je trouve un garage ouvert et commence à expliquer au vieux bonhomme. Je parviens à décrypter dans ce qu'il me semble être plus du grec que de l'anglais qu'il ne peut pas me faire un contrôle technique valable dans le NSW étant donné que je suis dans le South Australia, qu'il ne comprend rien à ce que je raconte, bien qu'il trouve que mon anglais est pas trop dégueulasse (ça me fait chaud au cœur et me donne envie de lui faire un câlin), et que je ferais mieux d'aller à "SA Service", les bureaux du ministère des transports en quelque sorte.

Je comprends beaucoup mieux la secrétaire de "SA Service", mais j'ai beaucoup moins envie de lui faire un câlin (même si elle au moins elle a pas plein d'huile sur les fringues et une haleine de kangourou en putréfaction) : je dois aller dans le NSW si je veux tout mettre à jour, ou bien m'enregistrer dans le South Australia, changer mes plaques, mon assurance, la REGO... Je n'hésite pas une seconde, parce que d'une je n'ai aucune envie de faire des milliers de bornes pour aller dans le NSW, et que de deux une voiture immatriculée au SA a beaucoup plus de cachet à la revente (simplicité de payement, coût très bas de la REGO, etc), mais je me vois tout de même dans l'obligation de payer $665. Tandis que le lecteur de carte bleue fait son boulot de sangsue, je fais le rapide calcul dans ma tête : 1505 - (835 + 665).


Le lendemain, je décolle pile à l'heure du caravan park. "C'est 10h00 maximum" m'avait re-répété la patronne. La veille, je m'étais un peu engueulé avec elle parce que j'avais un quart d'heure de retard, mais je m'en foutais,  je ne la reverrais jamais vu que je mettais le cap sur l'ouest ! Je ne savais que je devrais y repartir le soir même et en plus avoir à lui demander de signer un justificatif de domicile nécessaire à l'enregistrement du van en SA. Après 10 min de "yeux de cocker" intensifs, compliments sur la propreté du caravan park et traduction en anglais de ce qui était écrit sur mon permis international, elle a accepté, et m'a dit : "don't get me silly tomorrow, it's ten o'clock !"

J'appelle Allianz, la compagnie d'assurance qui vient de recevoir le cadeau de $800 pour une voiture qu'elle ne couvre même pas. Arrivé à la fin de mon crédit de téléphone, je décrète qu'il est beaucoup plus facile de donner de l'argent à une compagnie d'assurance que l'inverse. Enfin, par "l'inverse", je veux pas dire qu'il est difficile de donner de l'assurance à une compagnie d'argent, vous l'aurez compris. Bref ! Je mandate Amélie, notre éternelle maman en Australie, de faire parvenir un courrier à l'agence Allianz de Sydney pour que je récupère mon argent. Je l'attends toujours.

Je suis désolé de vous parler beaucoup d'argent dans ce chapitre, mais il faut dire que c'est exclusivement ce dont il a été question au long de ces deux semaines. Pour donner un ton plus sympathique à cet article, je remplacerais désormais les dollars par des koalas.


Mais revenons au calcul mental. Je vous donne la réponse : il me reste cinq koalas dans mon compte. Mes rêves de filer vers l'ouest sauvage de l'Australie pour vivre dans un ranch tombent un peu à l'eau pour l'instant.


Chapitre II : Galères

Le petit guide de fruit-picking m'indique que non loin d'Adelaïde, dans la Barossa Valley, productrice des trois quarts du vin australien, les vendanges ne vont pas tarder à commencer. Sur place, deux heures de route plus tard, les fermiers ne sont pas du même avis : suite aux fortes pluies des derniers mois, les vendanges sont retardées d'un mois. Bien. Re-consultons le petit guide, en laissant tomber tout ce qui concerne le vin, et en prenant en compte que je ne peux pas payer la moindre goutte d'essence. Bingo ! Le Riverland, région productrice de stone fruits (fruits à noyaux) qui se niche sur les berges de l'immense Murray River, est en pleine récolte, et n'est qu'à deux heures de route d'ici. Seulement, sur place, les fermiers encore : suite aux fortes pluies des derniers mois, la première récolte a commencé plus tôt que prévu et vient à peine de se terminer. Damned.


Je suis à Renmark. Je me gare dans une zone de camping autorisé, médusé, et attend le coucher de soleil. Peu à peu, plusieurs vans et voitures s'installent, et je vais à la rencontre de ces bacpackers. Tout le monde est dans la même galère, peu ou pas de boulot, des boulots très très mal payés, ou instables (tu bosses deux jours et t'as quatre jours de congé). Ils me donnent pleins de numéros à appeler. Je m'exécute le lendemain et me rend à l'évidence : le seul moyen d'avoir un boulot, c'est d'attendre. Attendre les vendanges, attendre la deuxième récolte, attendre qu'un poste se libère. Mais je ne pourrais pas attendre éternellement avec mes cinq petits koalas.

L'une des quatre Red Back Spider qui habitent dans les toilettes du camping

S'écoulent quelques jours où je cherche des fermes, j'appelle des fermiers, mais j'essaye de limiter au maximum les kilomètres. J'envisage le pire. Non, pas de me prostituer, mais de garder assez d'essence pour rentrer à Adelaïde, vendre le van et retourner en France... C'est la fin de l'après-midi, mais il doit bien faire encore 35°. Je discute avec deux couples d'italiens et un couple d'allemands, et l'envie me prend de jouer un peu d'accordéon. A la fin d'un morceau, Ricardo me dit : mais pourquoi tu batailles à trouver un boulot de merde mal payé alors que tu joues aussi bien de l'accordéon? Regarde, moi quand j'ai plus un rond, je joue des bongos devant le Woolworth (supermarché) et j'arrive à adopter une trentaine de koalas ! Je lui dis que j'essayerais demain et lui promets de lui offrir une bière si j'arrive à me faire de l'argent en jouant. Un van rose pétard s'arrête. Le jeune homme qui en sort se présente : il s'appelle Aitor, il vient de Bilbao, il est ingénieur du son, joue de la musique, et s'est arrêté car intrigué de voir un instrument de musique basque en Australie. On fait connaissance, il est adorable, on joue quelques morceaux basques, lui au txarango bolivien, moi à l'accordéon italien, en Australie, devant des allemends, français et italiens. Il m'invite à manger des pâtes, "the same shit diferent days" m'explique-t-il (et oui, on parle tous les deux basque, mais après plusieurs mois à parler anglais, notre cerveau a un peu de mal à se connecter sur "langue basque" et on alterne english, español et euskara), et on prévoit d'aller jouer ensemble à Renmark le lendemain.


C'est un dimanche. Un dimanche très ensoleillé. On monte dans "Pinky" et on se gare devant le Woolworth. A la fin du premier morceau, le vigile arrive, le sourire jusqu'aux oreilles, et nous explique que, malgré que la musique soit très jolie, il est interdit de jouer dans ce centre commercial, mais qu'il peut nous dessiner un petit plan pour nous montrer où on peut aller jouer. On y va, on joue une demi-heure, et je récupère mon chapeau avec 50 koalas à l'intérieur ! On sort du centre commercial pour souffler un peu, et on va au bord de la rivière, jouer un peu de musique, mais sans poser le chapeau cette fois. On compose une mélodie, et une dame nous offre le repas pour nous remercier d'avoir joué. C'est du fast food, mais c'est quand même très gentil de sa part. On repart jouer un peu, on reprend l'air un peu, et écrit un texte sur la mélodie. On repart jouer pour voir ce que donne la chanson en live, on fait quelques courses pour le soir, et on rentre au camping avec "Pinky" et un peu plus de 100 koalas. Après manger, on enregistre la chanson "Working Sunday" sur mon ordinateur en un temps record (j'avais la batterie de l'ordi chargée à peine à 40% ), devant l'oreille attentive de tous les backpacker du camping. Pour l'écouter, cliquez ici. On fait écouter le résultat à tout le monde, on regarde les étoiles pendant un long moment, et je dis au revoir à Aitor qui doit aller à Sydney. Il me dit de garder les koalas, qu'il a assez de koalas pour le moment, et que j'en ai plus besoin que lui. Le lendemain, il est parti, et moi, je commence à jouer de l'accordéon dans les centres commerciaux.

Le brouillon de "Working Sunday" 

Mon nouveau train de vie me va à ravir. Je vais jouer une heure ou deux en fin de matinée dans les centres commerciaux de Berri, Renmark, Waikerie, et je rentre avec 100 à 150 koalas au camping pour passer le reste de la journée avec les autres. Il y a Raphaël et Alex, les français mécanos de métier qui m'ont aidé à faire la vidange (et qui ont du coup fait la révision de tous les vans), Ricardo et Franccesca, qui ramassent des pêches et nous en offrent une poignée tous les soirs, Felix et Greta (pareil mais avec des prunes), Gorgio et Marghe, qui sont autant à la dèche que moi, qui ont toujours pas de boulot, et avec qui on a commencé un concours de cuisine qui consiste simplement à s'inviter alternativement à manger tous les soirs (ils ont battu ma tortilla de patatas avec leur risotto au vin blanc et safran...), et le vieux voisin qui s'occupe du zoo à côté duquel on dort, et qui nous offre des tomates du jardin, des abricots séchés et des œufs de caille.

Partie de Pocker - Jetons fabriqués avec ce qu'on a sous la main


Chapitre III : Galères

J'ai un peu honte de gagner de l'argent en jouant de la musique. C'est pas que j'ai l'impression de mendier, mais j'ai le sentiment de faire mon beurre sur le dos de la gentillesse des gens. Chaque fois, la première heure se passe à merveille, je suis heureux de jouer, heureux de voir que ma musique rend les gens heureux. Certains me donnent un sourire, d'autres un koala, certains me demandent de jouer "Fly Me Too The Moon", d'autres me proposent d'acheter mon accordéon parce qu'il est beau et qu'il irait bien dans la collection de vieux instruments de musique en bois. Mais au bout d'une heure et demi, la ferveur s'estompe, la créativité s'épuise, et la seule raison qui me pousse à continuer est le tas de koalas qui gonfle dans mon chapeau. Et ça, ça me plaît pas du tout. J'ai peur de me dégoûter de l'accordéon, j'ai peur de prendre l'habitude de vendre la musique comme du poisson frais au marché.


Je sais que tout le monde m'envie, que je gagne en une heure ce que les autres gagnent en une journée à trimer sous le soleil, mais je commence à avoir envie d'être payé à la sueur de mon front moi aussi. Je me remets en quête d'un boulot. Ramasser des melons de nuit à 100 km d'ici ? Ok ! En plus c'est sûr à 100% qu'ils ont besoin de monde... 100 km aller, 100 km retour plus tard, un fermier vient de virer trois gars parce qu'ils bossaient mal. C'est le moment d'entrer en scène ! Ah ben non, il veut pas les remplacer... Tiens je vais aller voir la ferme de prunes qui m'a dit il y a une semaine qu'il y aurait du boulot une semaine plus tard ! "What's your name again ? Ok, call me back in one week, we'll see what happens...". Je rencontre un français qui a un super boulot dans un champ de pêches et qui doit partir. Il me propose de me pointer à sa ferme le lendemain matin et de dire au boss que je le remplace. Manque de pot, le boss est très reglo, n'apprécie pas que le français le plante du jour au lendemain sans prévenir, et refuse de m'engager par principe. Et caetera.



Epilogue

J'entame ma deuxième semaine de chômage, alors qu'Isabelle bosse à fond dans son nouveau boulot. Elle a son appart, sa voiture, et vient d'être mutée. Elle commence lundi à Berri, dans le Riverland, à 10 km de là où je suis ! C'est chouette, on va pouvoir se voir un peu pendant une semaine. Je lui présente mes compagnons de chômage, elle me présente le cottage dans lequel elle vit. On profite des derniers instants qu'on peut passer ensemble, avant qu'elle soit mutée loin, très loin...