jeudi 3 mars 2011

Oihan : ça va mieux

Renmark (encore), Riverland, South Australia, 03 mars 2011


C'est drôle. Quand on est au chômage, on espère vraiment trouver un boulot au plus vite. Ca devient une obsession, le but à atteindre, l'Eldorado, et on a le sentiment qu'on ne pourra être heureux qu'une fois qu'on aura trouvé un job. J'ai fini par trouver un job. Il s'agit de ramasser des pêches parfois grosses comme des pamplemousses, destinées à être séchées. Mais une fois qu'on travaille, on se surprend à ne plus vouloir travailler, à envier les chômeurs, et à attendre avec impatience les jours de congé ! Et en l'occurrence, pour ce qui s'agit des travaux de ferme, les jours de congé, c'est les jours de pluie ! Donc, pour la première fois de ma vie, j'espère chaque jour voir tomber les premières gouttes salvatrices d'un orage qui m'obligera peut-être à vivre dans le van deux jours durant, mais qui me libérera des chaînes en acier trempé auxquelles m'a attaché Bill (fort accent, obèse, chapeau de cowboy, ne se déplace jamais de plus de 2 mètres sans son 4x4 blanc immaculé, à peu près comme 90% des patrons de ferme australiens). Bill me paye bien, $19 de l'heure. Il est exigent, mais professionnel. Les jobs payés de l'heure sont en général meilleurs que ceux payés au rendement. Esprit d'équipe et non de compétition, envie d'un travail bien fait et non d'un travail vite fait, assurance de gagner tous les jours la même somme.


Pour la première fois, mes collègues ne sont pour la plupart pas des backpackers. Bill n'aime pas les backpackers. Et il n'aime pas les filles non plus, mais pour des raisons différentes je pense. Dans mon équipe de 7, un backpacker allemand, et 5 résidents australiens originaires du Punjab (nord-ouest de l'Inde) qui ne parlent pas un mot d'anglais pour la plupart. Ils sont vraiment adorables, très souriants, très généreux, très rieurs, mais c'est assez dur de franchir la barrière de la langue. J'essaye d'abattre le premier coup de pioche en apprenant quelques rudiments de "Punjabi" : "tialodji" pour au boulot, "ahandji" pour oui, "sastriskhaal" pour bonjour, mais ça n'est pas suffisant pour faire passer le temps. Il va vraiment falloir que j'achète un lecteur MP3. Raj, le plus haut gradé de l'équipe qui jouit donc du droit de conduire le tracteur, parle tout de même assez bien. Il faut juste enregistrer que "diou bark bèle" signifie "you work well" et que quand il dit "Hazem! Come here!", il veut que je vienne. Oui, mon prénom a subi quelques modifications ; le premier jour, c'était un beau "Owyen", qui s'est dangereusement rapproché de "Aeyen", qui a connu son heure de gloire (alors que Raj lut mon nom sur la fiche de paye) avec un semblant de "Howyan", qui a malheureusement abouti (suite à une laborieuse conversation sur l'origine de mon prénom) sur le surnom de "Gump" (Oihan = forêt en basque = forest = Forest Gump), qui est retombé sur "Aeyen" parce que Raj oubliais tout le temps quel était mon surnom, puis "Hayein", "Hayzen", puis rien pendant un jour, il criait juste pour m'appeler (c'est d'ailleurs très blaissant de s'appeler "AARRGGLEW") et s'est enfin stabilisé sur "Hazem".


Le boulot est dur, très dur. Il fait très chaud, et très humide. Parfois, le thermomètre affiche 49°, mais il fait tellement humide dans les champs que la température ressentie doit avoisiner les 55°. Les moustiques sont là jour et nuit, par centaines. Ils piquent malgré le répulsif, à travers la chemise quand elle est collée à la peau par la transpiration, à travers le jean quand ils ont vraiment faim, et nous obligent à faire les cents pas pendant nos courtes pauses-clopes ("smoko" en australien) parce que le moindre arrêt de 10 secondes nous coûte quelques piqûres. Bien sûr, quand les moustiques ne sont pas là, les mouches prennent la relève, et croyez-moi, elles sont beaucoup plus insistantes que les mouches françaises. Et en plus certaines piquent ! On ne pisse pratiquement pas les 5 litres d'eau que l'on boit tellement on transpire, et le petit duvet qui revêt les pêches se colle au visage et gratte affreusement. C'est aussi la raison pour laquelle on attend aussi impatiemment la pluie : la température chute alors de 25°, l'air redevient sec, et on peut travailler dans de bonnes conditions pendant quelques jours. Et puis les pluies sont tellement diluviennes ici, que ça nous offre également une douche avec une pression plus conséquente que celle de la douche solaire. Il faut juste se dépêcher, la pluie pourrait s'arrêter alors qu'on a du savon dans les yeux !

Marghe prépare les pâtes fraîches
Gorgio prépare la sauce
 Je dors toujours au même endroit, sur mon petit parking de zoo, avec mes potes. J'ai mon petit rythme routinier : p'tit dèj' à 5h30 du matin, remplissage du bidon d'eau potable, boulot, pause déjeuner avec le repas que j'ai préparé la veille (qui n'est autre que le même repas que j'ai mangé au dîner), boulot, remplissage de la douche solaire, douche, courses, un peu d'internet, dîner, dodo à 22h00 maximum. Les "day-off", c'est grasse mat', nettoyage du van, et accordéon pour gagner un peu d'argent. Grâce à ces "day-off-accordéon", je ne touche pratiquement pas à l'argent que je gagne au boulot pour me nourrir et nourrir le van. Les habitants du parking vont et viennent. Persiste le noyau dur italiens-allemands-franche-comtois-moi, puis se succèdent français, allemands, italiens, belges, coréens, estoniens... Ricardo et Fransesca s'en vont, et on fête leur départ et l'anniversaire de Ricardo par la même occasion, cadeau musical à la clé (cliquez ici, et oui, je sais, c'est très kitch). Nos délires culinaires ne s'affaiblissent pas d'un cil. Entre deux barbecues, Giorgio et Marghe nous préparent les vraies "fresh pasta", Steph et Gaëlle de Liège nous font goûter la célèbre salade liégeoise, et moi, j'organise une soirée talo (talo eta ardigazna en entrée, talo eta txingar en plat de résistance, talo eta nutella en dessert, prefosta).

J'ai trouvé la plantxa parfaite pour les talo
 Les quatre français que l'on avait rencontré dans le Victoria et avec qui on avait passé Noël et Nouvel An passent me rendre visite. Ils s'intègrent très bien à notre week end post-pluie : pétanque, accordéon, "time's up", "loup garou" ("wolfman", mais aussi "dingoman", "mosquitoman", "emuman" au long des différentes parties) et funambulisme. Et barbecue, of course !


Voilà maintenant trois semaines que je ramasse des pêches, et le boulot touche à sa fin. Samedi, 14h00, Bill nous remercie du bon boulot qu'on a fait, et nous donne nos dernières fiches de paye. 15h30, j'ai trouvé un autre boulot, et je commence lundi. Presque trop simple ! Je laisse les pêches, et attaque les prunes. Cette fois c'est du "contract-job", payé au rendement. $50 brut la half-ton bin, remplie en 4 heures et demi le premier jour, 4 heure le deuxième, puis 3 à 3 heure et demi pour les jours suivant. Picker (ramasser) seul, c'est assez dur. Dur de se motiver, dur de finir les bin en temps et en heure. Heureusement que Simone et Han, le couple italio-coréen (pas couple couple, mais paire, covoyageurs, Simone étant un prénom masculin) mettent l'ambiance à chanter à tue-tête. Quoi ? Je vous ai pas encore parlé de Simone? Le Simone? "Saymon" en anglais? Plus communément appelé (silence, lumière tamisée, visage grave, voix rauque et profonde) "Il Milanezze"... Giorgio et Marghe m"ont expliqué que les milanais sont un peu l'équivalent des parisiens en France. Rien n'est mieux que Milan, tout le monde est plus con qu'un milanais, un milanais a toujours raison, un milanais est toujours plus fort. "Il Milanezze" ne travaille jamais plus de trois jours dans la même ferme parce qu'il s'ennuie et se fait virer. Il feint de se tordre la cheville pour aller au café toute la journée, il s'engueule avec les patrons parce qu'il a toujours raison, et cumule les PV pour raisons diverses et variées. Le pauvre Han le suit dans ses délires, essaye de l'empêcher de dépenser tout l'argent qu'ils gagnent, mais ils s'entendent malgré tout très bien. Et ils sont malgré tout très sympa. "Il Milanezze" s'est déjà lié d'amitié avec toute la mafia de Renmark (à savoir le garagiste italien, le patron du bar italien, la prof d'italien de l'école, et le patron de la pizzeria). C'est grâce à ce cercle de compatriotes qu'il a trouvé le boulot de ramassage de prunes, et qu'il m'y a fait entrer.


Une semaine et demi plus tard, le boulot de prunes se termine à son tour. Je ramasse tout de même une dernière prune sur le chemin du retour. 74 km/h au lieu de 60 km/h, $256. Ils rigolent pas en Australie. J'explique au flic que je fais toujours attention, et que j'ai pas beaucoup d'argent, que $256 ça représente à peu près 3 jours de boulot, et il me dit qu'honnêtement, je voyage, je suis jamais au même endroit, et que si je paye pas l'amende, ils vont pas me courir après. Mais que si je veux la payer, j'ai un mois de délai. Et que mon pneu avant droit est un peu lisse, je devrais vérifier le parallélisme.


Me voilà de nouveau au chômage, et j'envisage vraiment de partir cette fois. Je me dis que j'ai quand un même un peu d'argent, pas des montagnes, mais suffisamment pour être tranquille pendant un moment. C'était sans compter sur "Il Milanezze", qui a sympathisé avec la mafia grecque de Renmark (qui pour le coup, à ce qui parait, est vraiment une sorte de mafia), a trouvé une ferme qui va commencer les vendanges à la main, et cherche du monde. On va à la rencontre de Andrew, que j'appellerais dorénavant "El Greco", il nous explique le boulot, ça a l'air d'être assez rentable mais encore une fois, on ne peut savoir que si on essaye. Il nous donne rendez-vous dimanche à 7h00 du matin au block. En Australie, quand il n'y a pas beaucoup de boulot dans un endroit donné, un plan job s'ébruite très vite, et on se retrouve à être dans le même camping 14 personnes à aller bosser pour "El Greco" dimanche. On est mardi, et ça me laisse du coup 4 jours de vacances pour réfléchir un peu (et pour écrire cet article). C'est vrai que j'ai envie de partir, que j'en ai marre, mais d'un autre côté, si je me motive, je peux gagner suffisamment d'argent pour être tranquille peut-être jusqu'à la fin du trip, et j'engrange les jours dans le but d'atteindre les "88 jours" (nombre de jours de travail nécessaires pour avoir le droit de demander un deuxième visa) que tout backpacker essaye d'atteindre, au cas où. Je pense que je vais rester travailler. Peut-être deux semaines, si le boulot rapporte bien. Ca me laissera le temps d'organiser mon départ, trouver un "van-mate", appeler les hôtes de WOOFF, voir ce qui cloche avec mon pneu lisse. Pour l'instant, c'est vacances pour quelques jours ! Un peu d'accordéon de temps en temps bien sûr, mais ça fait du bien.


Et puis ça me laisse le temps de regarder les étoiles. Avant de m'endormir, je sors la tête du van (et de la moustiquaire) par la porte entrebâillée, et j'attends de voir quelques étoiles filantes. Je vous ai déjà dit à quel point le ciel était beau ?



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